Réforme des collectivités territoriales – Recentralisation = caporalisation
La suppression de la taxe professionnelle et la réforme des collectivités en préparation, sans aucune concertation à la base avec les élus locaux, sont les deux faces d’une même volonté de recentralisation autoritaire et de mise sous tutelle institutionnelle et financière des communes, départements, régions.
Qu’on en juge :
La suppression de la taxe professionnelle a été décidée par ukase présidentiel, sous la pression de lobbies bien connus. Cet impôt représente pourtant un produit assuré de 27 milliards d’euros affecté pour 59 % aux communes et intercommunalités.
Bien entendu, chacun sait qu’il s’agit d’un « impôt imbécile » puisqu’il taxe essentiellement l’investissement productif des entreprises en laissant de côté l’activité financière spéculative qui représente le scandale permanent d’un capitalisme financier dégénéré, ce que Jaurès appelait déjà, à son époque, l’oligarchie d’argent.
Ce faisant, cette taxe pénalise surtout les PME-PMI que toutes les communes et intercommunalités cherchent à implanter sur leurs zones d’activités et qui sont, pour l’essentiel, extérieures à l’économie de casino qui détruit le travail et la production utile.
Au lieu de cela, une réforme logique qui serait aussi une solution de bon sens pour une plus grande justice sociale, devrait mettre à contribution les actifs financiers des grands groupes (cela fait 2,5 fois le PIB de la France !). Cette réforme devrait avoir l’aval du Président de la République, pourfendeur verbal impitoyable des dérives du capitalisme financier mais qui reste, comme son gouvernement, sur cette question fondamentale, bavard et velléitaire.
La question concrète qui se pose aux communes et intercommunalités c’est : Comment compenser ce manque à gagner de 16 milliards d’euros, soit 41 % de leurs ressources fiscales ?
A une question d’un député du Nouveau Centre sur ce problème, le ministre Hervé Novelli a répondu : « Ne vous inquiétez pas, braves élus de base, l’État compensera à l’euro près ! ». Ledit ministre n’avait sans doute pas en tête que l’État, engagé dans la révision générale des politiques publiques, surendetté avec un déficit de 104 milliards d’euros prévus (environ 34,6 % de ses recettes) mais en réalité plutôt 140 milliards, voire, selon l’expression fameuse d’un personnage haut placé, en faillite, n’aurait pas les moyens ni la volonté de réaliser un effort pareil d’autant que les réformes doivent, paraît-il, se faire à prélèvement public constant.
Donc, dans une magnifique cacophonie, chacun bricole une solution partielle. Certains prévoient de taxer les pylônes, les antennes-relais… D’autres, dans l’écologisme culpabilisateur ambiant, proposent de substituer à la taxation des entreprises la taxe carbone qu’il faudrait amener à plus de 100 euros, ce qui serait bien sympathique pour les zones rurales. Enfin, le rapport Balladur prévoit de taxer l’immobilier d’entreprise, taxe qui existe déjà et qui alimente les budgets communaux.
Bref, tout cela sent l’amateurisme et l’improvisation à tous les étages de l’appareil d’État.
En définitive, il ne faut pas avoir d’illusions. Les élus locaux seront contraints d’avoir recours aux bonnes vieilles taxes. L’augmentation de la taxe d’habitation, du foncier bâti, en particulier pour les communautés de communes en TPU (Taxe professionnelle Unique) ou l’instauration de taxes additionnelles va devoir être mis à l’ordre du jour. Pourtant chacun sait que l’on arrive à un seuil de tolérance dans nombre de départements pas très riches, où par exemple le foncier bâti atteint un plafond dans certaines communes (60 %).
Les collectivités qui doivent faire face à l’explosion des besoins sociaux locaux (écoles, petite enfance, habitat, restauration scolaire, sport, culture, animation…) devront-elles suivre l’exemple de l’État, réduire la dépense publique locale, ne pas remplacer un salarié territorial sur deux, privatiser les services publics locaux ?
La loi préconise de faire voter par le Parlement une enveloppe de dépense publique locale. Que restera-t-il alors du principe de libre administration des collectivités territoriales, principe inscrit dans notre constitution ?
La suppression de la clause de compétence générale des départements et leur disparition programmée va avoir des conséquences financières directes pour les communes et intercommunalités, proches interlocuteurs privilégiés et cofinanceurs non négligeables des investissements locaux.
Si les départements n’ont plus de clause de compétence générale et doivent seulement faire face à leurs compétences obligatoires, ce sont les modalités d’aide aux communes et intercommunalités de base qui vont être mis en question. En se recentrant sur leurs obligations réglementaires, les régions nouvelles qui doivent absorber les départements, vont devenir de simples courroies de transmission d’un pouvoir central autoritaire.
Les communes et départements de France, institutions de notre République, de notre démocratie, risquent de se transformer de collectivités de plein exercice en services administratifs déconcentrés, et les élus locaux en exécutants de décisions politiques prises très loin de leurs territoires et des intérêts des populations dont ils ont la charge.
Il s’agirait d’une régression majeure, une recentralisation, une caporalisation d’institutions historiques, un évident mauvais coup contre la démocratie.
Des élus locaux conséquents devraient se battre contre cela, en y impliquant les populations très attachées aux services de proximité rendus par les communes, dont l’utilité sociale n’est plus à démontrer.
Michel de Chanterac