Mendès-France et l’Europe

En 1957, lors de la ratification par l’Assemblée Nationale française du Traité de Rome, peu d’hommes politiques ont exprimé de doutes sur les risques que pouvait faire courir à la démocratie les modalités fédéralistes et libres échangistes du dit traité.
La guerre froide, à l’époque, imposait aux forces dominantes en Europe occidentale de lutter contre le collectivisme et il fallait réaffirmer, au-delà des nations, les principes de liberté économique contre le totalitarisme.
Peu de forces politiques indépendantes avaient le courage de dire que ce traité et ceux qui suivraient pouvaient mettre en cause l’application du programme du Conseil national de la résistance, intervention de l’Etat dans l’économie, solidarité nationale, planification démocratique.
Pierre Mendès-France faisait partie de ces hommes politiques libres, non inféodé aux forces dominantes à qui tout le monde reconnaît un grand courage politique et un attachement profond à l’idée européenne.

Sa vision était celle d’une Europe de nations libres en quête d’un idéal commun, la démocratie et la souveraineté populaire, coopérant dans des domaines bien définis pour l’intérêt général.
Le 18 janvier 1957, à la veille de la signature du Traité de Rome, il déclarait à l’Assemblée Nationale.

« Le projet de Marché commun tel qu’il nous est présenté est basé sur le libéralisme classique du XIXe siècle selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes.

L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes :

Soit elle recourt à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit elle recourt à une délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique ; car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique au sens large du mot, nationale et internationale. »
Cette critique était prémonitoire et s’est malheureusement concrétisée.
Des réformes successives de la PAC à l’Acte unique de 1990, du Traité de Maastricht à celui de Lisbonne, les caractéristiques libérales et technocratiques de l’Union européenne se sont confirmées, créant au fil des ans une fracture béante entre les peuples européens et l’Union.
Ceux qui, très majoritaires dans la classe politique défendent cette Europe là, avec une arrogance irresponsable, sont en réalité les fossoyeurs de l’idée européenne.
Une autre construction est nécessaire pour réconcilier les peuples avec l’Europe. Voilà bien aujourd’hui un combat politique qui a du sens.

 

Michel de Chanterac

Share This